F.Gagnaire Docteur en droit, consultant Cabinet Aides d’Etat Conseil
L’Union européenne ne dispose à ce jour ni d’une politique fiscale aboutie, ni d’une politique industrielle commune. Pour pallier cette carence, le droit des aides d’Etat a été utilisé par la Commission européenne en de multiples occasions.
Les autorisations d’aides massives dans certains secteurs tels que l’automobile et les secteurs bancaires et financiers à l’occasion de la crise financière de 2008 ont fait office de politique industrielle à minima. De nombreuses entreprises de ces secteurs alors en difficulté ont reçu l’aval de la Commission pour percevoir des aides leur permettant de se restructurer et d’échapper à la liquidation.
La Commission sanctionne aussi depuis longtemps les aides fiscales. Il s’agit pour l’essentiel de régimes fiscaux sélectifs excluant de leur champ d’application (en leur conférant un avantage fiscal) certaines catégories d’entreprises ou certaines entreprises bien identifiées se trouvant pourtant dans des situations « factuellement et juridiquement » comparables aux autres entreprises imposables. Ces exclusions ne sont justifiées ni par la nature, ni par l’économie du système fiscal de référence [1].
Par un arrêt « Forum 187 » du 22 juin 2006 [2], la Commission avait déjà franchi un cap en s’intéressant non plus à des législations fiscales «ordinaires» devenus sélectives mais à des législations instaurant directement des mécanismes d’optimisation fiscale [3]. Dix ans plus tard, la Commission relance son offensive contre l’optimisation fiscale abusive des multinationales. Avant de nous pencher sur le contentieux lié à cette nouvelle offensive de la Commission, il nous faut préciser les contextes politiques et juridiques dans lesquels elle s’inscrit.
I Le contexte politique et juridique de l’intervention de la Commission
A/ Le contexte politique
L’optimisation fiscale n’est pas illégale à condition qu’elle respecte certains principes et qu’elle ne dégénère pas en évasion fiscale. Rappelons que l’interdire relève de la gageure dans la mesure où cette interdiction, pour être efficiente, nécessiterait une harmonisation fiscale à l’échelle mondiale.
L’optimisation fiscale au sein des groupes multinationaux n’est que la résultante d’une conjonction de phénomènes tels que la disparité des taux d’imposition (ayant pour extrême les paradis fiscaux), la liberté d’établissement, la montée en puissance d’entreprises transnationales, les règles d’imposition filiales/ sociétés mères, le désir des multinationales de payer un minimum d’impôts voire, de ne plus en payer du tout. En plus d’être très discutable sur les plans éthiques et concurrentiels, l’optimisation fiscale représente pour les Etats une perte de ressources budgétaires considérable et ce, en pleine période de crise des finances publiques.
La grogne des Etats (motivée et nécessitée par divers scandales tels que les « Panama Papers » ou bien encore le « Luxleaks ») trouve un écho au sein de l’OCDE. Si le plan BEPS (Base Erosion and Profit Shifting, optimisation fiscale) conclu en novembre 2015 au G20 d’Antalaya connaît bien une transcription au niveau communautaire (modification de la directive sur la coopération administrative afin de renforcer la transparence sur les impôts payés par les entreprises), le droit des aides d’Etat reste à ce jour le seul instrument de lutte efficace.
En effet, l’optimisation abusive est très difficilement condamnable sur le fondement des arsenaux juridiques nationaux et l’intervention de la Commission pour violation aux règles de libre concurrence demeure le seul garde-fou efficace et protecteur des Etats. L’intercession de la Commission permet aussi aux Etats d’éviter une confrontation directe à l’issue incertaine avec des entreprises dont ils redoutent le départ et les pertes d’emplois en résultant.
L’offensive de la Commission est aussi contentieuse. En juin 2014, la Commission a publié une première décision d’ouverture d’enquête concernant les pratiques de l’Irlande, du Luxembourg et de la Hollande avec comme entreprises désignées Apple en Irlande, FIAT Finances and Trades, Amazon et McDonald’s au Luxembourg et Starbucks en Hollande. La Commission a rendu ses décisions FIAT et Starbucks. D’autres entreprises comme Google sont aussi dans le viseur de la Commission.
L’affaire Apple (financièrement la plus importante) a fait l’objet d’un communiqué de presse officiel de la Commission en date du 30 août 2016. Dans ce communiqué de presse, la commissaire européenne à la concurrence annonce la condamnation de l’Irlande à récupérer 13 milliards auprès d’Apple correspondant à 10 ans d’aides fiscales. L’entreprise entre 2003 et 2014 a connu un taux d’imposition variant de 1% en 2003 à 0,005% en 2014. Apple a pour parvenir à ce résultat a fait enregistrer toutes ses ventes européennes en Irlande plutôt que dans les pays où les produits étaient vendus. Le détail de ces différents ruling fiscaux est contenu dans la décision de la Commission non encore publiée.
B/ Fiscalité et droit des aides d’Etat : de la sélectivité d’une mesure à l’octroi d’un avantage sélectif.
Le droit des aides d’Etat pour s’appliquer et remplir son office d’instrument (par défaut..) de la lutte contre l’optimisation fiscale abusive, implique l’existence d’une aide dont le caractère sélectif est la condition sine qua non. Les autres conditions cumulatives de la reconnaissance d’une aide, à savoir l’origine étatique de la mesure, l’entrave aux échanges et le faussement de la concurrence qui en résultent sont en général remplies. Quant à la transmission d’un avantage, elle est inhérente au caractère sélectif de la mesure qui dans le contexte des aides vise justement à minimiser l’impôt de certaines sociétés. C’est sur la démonstration de cet avantage nécessairement sélectif que la Commission va devoir s’appuyer dans le contexte des multinationales.
Pour ces dernières, l’imposition repose avant tout sur la détermination des prix de transfert au sein du groupe et l’examen de la Commission doit se focaliser sur la pertinence de ces prix de transfert (existence d’un avantage).
La direction générale des finances publiques définit les prix de transfert comme étant : « tout flux intragroupe et transfrontalier (achat et vente de biens, de services, redevances, intérêts, garantie, honoraires, cession ou concession de biens incorporels tels que les marques, brevets, savoir-faire), refacturation de coûts…». Lorsqu’une entreprise française vend des produits à sa filiale belge, le prix de vente est un prix de transfert (prix des produits échangés entre deux filiales d’un même groupe sises dans deux Etats différents).
L’enjeu que recouvrent ces prix de transfert est ainsi défini par l’OCDE en 2009 : « si les prix de transfert sont importants aussi bien pour les contribuables que pour les administrations fiscales, c’est parce qu’ils déterminent, dans une large mesure, la répartition des revenus et des dépenses et, par conséquent, des bénéfices imposables entre les entreprises associées relevant d’autorités fiscales différentes ».
Ces prix de transfert entre filiales étrangères permettent à une entreprise de localiser ses profits ou bon lui semble et de tirer avantage de la fiscalité (a priori généreuse) du pays choisi.
Prenons un exemple très connu : l’île anglo-normande de Jersey dont la rigueur du climat est inversement proportionnelle à la douceur de son prélèvement fiscal se trouve être le premier exportateur de bananes au monde malgré le fait qu’il n’y pousse aucune banane. Mais Jersey a aussi cette particularité d’être le centre mondial du prix de transfert des vendeurs de bananes. Les bananes sont vendues par exemple par une société basée en Afrique à une société basée à Jersey. La société de Jersey va ensuite revendre ces bananes à l’une de ses filiales basée en France, mais à un prix très élevé permettant de laisser l’essentiel des bénéfices à Jersey, et de ne laisser qu’une faible marge à la société Française. Avec sa marge faible, la filiale française sera faiblement imposée. Avec sa marge forte, l’entreprise basée à Jersey le sera encore moins.
Le système des prix de transfert laisse deux possibilités de justification à ses bénéficiaires lorsque le Fisc se manifeste. Ces derniers peuvent soit démontrer que le produit vendu n’est pas exactement le même que le produit acheté, soit démontrer que la filiale a obtenu une contrepartie en échange d’un prix plus élevé (par exemple une prestation de conseil ou la promotion du produit sur le marché final). Dans tous les cas de contestation des prix de transfert, le Fisc aura beaucoup de mal à évaluer la contrepartie accordée à la filiale si tant est qu’il y ait contestation desdits prix.
Les autorités nationales en s’appuyant sur les textes indicatifs de l’OCDE peuvent y trouver une parade grâce au principe au prix dit de pleine concurrence. C’est par ce biais que la Commission va parvenir à démontrer l’existence d’un avantage et donc d’une sélectivité.
« Afin de pouvoir s’assurer que les bases d’imposition de chaque pays sont les plus justes possibles (..), les pays membres de l’OCDE ont adopté le principe du « prix de pleine concurrence » pour les opérations intragroupes.
Il signifie que le prix pratiqué entre des entreprises dépendantes doit être le même que celui qui aurait été pratiqué sur le marché entre deux entreprises indépendantes.
L’article 57 du code général des impôts reprend ce même principe en exigeant que, « aux fins de l’impôt, les conditions convenues par des parties ayant un lien de dépendance dans le cadre de leurs relations financières ou commerciales soient celles auxquelles on pourrait s’attendre si les parties n’avaient aucun lien de dépendance. Dès lors, afin d’éviter tout risque fiscal, l’entreprise doit s’assurer que ses prix de transfert ne s’écartent pas de ce prix de pleine concurrence » [4].
Les prix de pleine concurrence n’interdisent pas la localisation de filiales de groupes en zones fiscales « tempérées » mais interdisent en revanche que les prix de transfert soient artificiellement manipulés et différents de ce qu’ils devraient être entre deux entreprises indépendantes. Il n’en demeure pas moins que les entreprises peuvent toujours tenter de justifier ce prix par les deux hypothèses mentionnées ci-avant et que ce prix de pleine concurrence ne peut empêcher de faire échapper une partie de la valeur ajoutée des entreprises à l’impôt. En effet, si une société de Jersey achète des bananes en Afriques et les revend à ses filiales en Europe en respectant un prix de pleine concurrence, une partie des bénéfices réalisés à Jersey lors de la revente ne sera tout de même pas taxé. L’intermédiaire Jersey détruira de toute façon une partie de la ressource publique qui aurait été beaucoup plus importante si la filiale française avait fait directement l’acquisition des bananes auprès d’un fournisseur situé en Afrique pour les revendre sur le marché français.
II Le contentieux.
A ce jour, la Commission a rendu trois décisions finales négatives. Deux décisions concernent des APP (Advice Price Agreement/ accord préalable en matière de prix) signés respectivement entre le Fisc Hollandais et luxembourgeois avec les entreprises « Starbucks » et « FIAT Finance and Trade » [5] et une concerne l’exonération des bénéfices excédentaires des multinationales en Belgique [6]. Même si les instruments diffèrent, la technique reste la même : vérifier que les prix de transfert respectent bien les prix de libre concurrence et qu’il n’y a donc pas transmission d’un avantage automatiquement sélectif.
A/ La question des APP
L’APP Hollandais comme l’APP luxembourgeois dans le cadre de l’affaire FIAT ne sont qu’un des nombreux avatars de la technique dite du ruling fiscal qui comme son nom ne l’indique pas est une pratique permettant aux entreprises de s’adresser directement à l’administration fiscale pour obtenir de cette dernière une « décision anticipée » sur l’impôt auquel elles seront soumises au cours des dix prochaines années (tax rulings).
Dans cette affaire techniquement très complexe [7] les faits sont relativement simples. Le groupe américain Starbucks spécialisé notamment dans la torréfaction et la vente de café dans des magasins éponymes signe un APP avec le Fisc hollandais (période 2007-2017). L’APP en cause contient toutes les informations relatives au prix de transfert et à leur adéquation avec le prix de pleine concurrence.
Aux fins de cette démonstration, cinq techniques comptables (indicatives) sont validées par l’OCDE. Le choix de Starbucks s’est en l’espèce porté sur la méthode transactionnelle de la marge nette (MTMN).
La Commission considère pour sa part que c’est la méthode CUP (Comparable Uncontrolled Price) qui aurait dû s’appliquer : « […] Si un prix de marché comparable est disponible, la méthode du prix comparable sur le marché libre […] sera généralement la façon la plus directe et la plus fiable pour déterminer le prix de transfert, de sorte que cette méthode aura la préférence sur les autres » [8].
La Commission va, suite à ses doutes sur la méthode utilisée, analyser si l’APP signé entre Starbucks et les autorités fiscales hollandaises s’apparente ou non à une aide d’Etat. Elle va pour ce faire rapidement écarter la condition de l’origine étatique de l’aide (aide fiscale), celle de son entrave aux échanges et de faussement de la concurrence (Starbucks est une multinationale) pour se pencher sur la question de l’existence d’un avantage sélectif.
L’avantage sélectif que peut recéler une mesure fiscale se démontre en trois étapes. Il faut d’abord déterminer le régime fiscal de référence (de droit commun) de l’Etat membre pour ce type de mesure (impôt des particuliers, des entreprises…). Dans un second temps, il faut déterminer si la mesure analysée est constitutive d’une dérogation au système de référence (cette mesure introduit-elle ou non des différences entre des opérateurs se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable). Le cas échéant, si la mesure est bien dérogatoire, il faudra déterminer si elle est ou non justifiée par la nature ou l’économie du système de référence. C’est à l’Etat d’apporter cette démonstration que la mesure dérogatoire se rattache bien aux principes fondateurs ou directeurs de son système fiscal.
En l’espèce, le régime fiscal de référence est celui de l’impôt sur les sociétés qui a pour but d’imposer le bénéfice réalisé par toutes les entreprises assujetties à l’impôt aux Pays-Bas. Les entreprises établies aux Pays-Bas sont des contribuables nationaux ; elles sont soumises à l’impôt des sociétés sur leurs revenus mondiaux. Les entreprises non établies aux Pays-Bas (contribuables étrangers) sont soumises à l’impôt sur les revenus provenant de sources néerlandaises.
La Commission pointe la différence technique et ses limites juridiques entre les entreprises intégrées (faisant partie d’un groupe) et les entreprises autonomes. Dans le contexte des entreprises intégrées, le calcul du bénéfice imposable sera plus complexe : « (..) Une entreprise intégrée qui interagit avec des entreprises du même groupe devra, par contre, tout d’abord estimer les prix à appliquer pour déterminer le bénéfice imposable sur les transactions au sein du groupe, l’estimation étant déterminée par l’entreprise même qui exerce le contrôle sur le groupe plutôt qu’être dictée par le marché » [9].
Cette différence d’évaluation de la masse imposable ne constitue cependant pas selon la Commission une dérogation justifiée à la finalité du régime fiscal de référence (l’impôt sur les sociétés) car : « dans le régime général néerlandais de l’impôt des sociétés, le bénéfice de toutes les entreprises établies aux Pays-Bas est taxé de la même manière, sans distinction entre les entreprises faisant partie d’un groupe et les entreprises qui ne sont pas sous contrôle, les deux types d’entreprises doivent être considérés comme étant dans une situation factuellement et juridiquement comparable à la lumière de l’objectif intrinsèque du régime. Étant donné que l’APP SMBV a pour but de déterminer la base imposable de SMBV en vue du prélèvement de l’impôt des sociétés sur base de ce système, le système général néerlandais de l’impôt des sociétés est le régime de référence sur la base duquel cet APP doit être apprécié afin de déterminer si Starbucks jouit d’un avantage sélectif (..) il importe donc peu que le bénéfice imposable soit forcément atteint de manière différente selon que l’entreprise est intégrée ou non » [10]. Par cette première conclusion, la Commission écarte l’argumentaire de Starbucks visant à faire de l’APP un système fiscal de référence inhérent aux groupes (et un système de référence autonome) qu’il suffirait de comparer avec d’autres APP afin d’en tirer des conclusions quant aux éventuels avantages concédés à l’entreprise [11].
Dans un second temps, la Commission va expliquer en quoi l’APP peut recéler un caractère sélectif. Pour ce faire, elle se fonde sur l’arrêt de la Cour relatif au centres de coordination belge duquel il résulte que lorsqu’une mesure fiscale est basée sur une méthode d’appréciation qui s’écarte sans justification de ce qui découlerait d’une application normale du système d’imposition et donc du principe de libre concurrence, la mesure en cause procure à son bénéficiaire un avantage sélectif en réduisant sa base imposable et donc son impôt par comparaison avec des entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique identique [12].
La non-conformité des prix de transfert à des prix de pleine concurrence (méthode d’appréciation inadéquate [13]) entraîne la transmission d’un avantage sélectif (au sens de l’article 107§1) à l’entreprise qui en bénéficie.
La Commission conclue à l’existence d’une aide d’Etat illégale et de surcroit incompatible dans la mesure où cette aide s’apparente à une aide au fonctionnement. Elle en exige donc la récupération par l’Etat hollandais auprès de Starbucks.
B/ Le système belge d’exonération des bénéfices excédentaires
Ce système permet aux filiales de multinationales implantées en Belgique de réduire leurs bases imposables en déduisant leurs bénéfices excédentaires de leurs bénéfices réellement enregistrés (réduction de l’assiette fiscale).
Les bénéfices excédentaires sont déterminés par comparaison avec les bénéfices « moyens hypothétiques » qu’une entreprise autonome exerçant des activités comparables pourrait réaliser dans des circonstances identiques. Ainsi, dans le contexte de groupes multinationaux, le régime belge permet de déduire du montant imposable les bénéfices « excédentaires » dont bénéficie l’entreprise grâce à son appartenance au groupe (économies d’échelle, marketing…) et dont ne pourraient bénéficier des entreprises autonomes. L’entreprise bénéficie donc des avantages du groupe sans en payer la contrepartie.
Ces bénéfices excédentaires sont calculés en deux temps. Il faut d’abord fixer les prix de pleine concurrence sur le fondement des prix de transfert, puis établir le montant des bénéfices excédentaires qu’il faut exonérer d’impôt.
La Commission dans son analyse de l’avantage sélectif relève trois points : Premièrement, le régime fiscal de référence peut permettre dans certains cas des ajustements au bénéfice réellement enregistré qui sont accessibles à tous les contribuables et, donc, non sélectifs. L’exonération des bénéfices excédentaires fait pour sa part une distinction entre ces différents contribuables étant donné que seules les entités belges faisant partie d’un groupe multinational de taille suffisante et exerçant des activités en Belgique peuvent bénéficier du régime en cause. De plus et comme elle l’avait déjà mis en avant dans ses décisions APP, la Commission considère que la distinction entre entreprise autonomes et intégrées n’est pas constitutive d’une dérogation au système car elle n’a aucun impact sur sa finalité [14].
La Commission considère in fine que le régime est sélectif à plusieurs titres et qu’il confère un avantage à ses bénéficiaires essentiellement.
- Parce qu’il n’est accessible qu’aux multinationales alors que ces dernières se trouvent au regard de l’impôt dans une situation juridique et factuelle identique à des entreprises autonomes ou à des groupes nationaux de sociétés.
- Parce que seules les multinationales de moyenne ou grande taille (nouvelle sélectivité) sont en mesure de bénéficier concrètement du régime qui serait très contraignant pour des multinationales de petite taille [15].
Outre le fait que l’exonération des bénéfices excédentaires s’apparente à une aide, la Commission va également considérer que le prix de transfert n’est pas un prix de pleine concurrence dans la mesure où il devrait prendre en compte les bénéfices excédentaires qui ne sont autres qu’une composante résiduelle du bénéfice résiduel imputable à l’entreprise. Ce bénéfice résiduel imposable devrait être pris en compte dans ledit prix de transfert.
Par le fait, le régime est constitutif d’une aide d’Etat dans l’intégralité de ses composantes (exonération du bénéfice excédentaire et calcul des prix de transfert). Cette aide d’Etat est là encore incompatible (aide au fonctionnement) et illégale.
Conclusion
Le 21 juin 2017, la Commission a émis un projet de directive qui vise cette fois-ci les intermédiaires de l’optimisation fiscale (banquier, avocats, conseillers) qu’il s’agit d’obliger à déclarer à l’administration fiscale de leurs pays respectifs les mécanismes d’optimisation réalisés pour le compte de leurs clients. Cela permettra aux autorités nationales de prendre des contre-mesures et de condamner les tentatives de dissimulation. Ce mécanisme est très proche de celui de la notification des aides d’Etat sauf qu’il s’effectue au niveau des Etats et que contrairement à la notification, il ne concerne pas automatiquement une aide d’Etat tout en créant une sorte de présomption à ce titre.
Malgré ces différentes méthodes préventives, le droit des aides d’Etat reste à ce jour le meilleur instrument de lutte contre l’optimisation fiscale abusive et ce bien entendu parce qu’in fine ces mécanismes d’optimisation allègent les charges des entreprises les plus puissantes en leur conférant automatiquement une aide d’Etat incompatible puisque automatiquement assimilable à une aide au fonctionnement.
L’avenir dira si la Cour de Justice soutiendra ces décisions et confirmera l’approche adoptée dans l’affaire des centres de coordination fiscale belges. L’avenir nous dira également si les Etats daigneront s’engouffrer dans la brèche ouverte par la Commission au moyen du droit des aides d’Etat afin de faire cesser cette spoliation en règle des finances publiques.
[1] Pour un exemple récent concernant la fiscalité de certains clubs de football professionnels espagnols, voir la décision n° 2016/2391 du 4 juillet 2016 au JOUE n° L 357/2016.
[2] Arrêt CJCE du 22 juin 2006, « Belgique et Forum 187 ASBL », AFF jtes C-182/03 et C-217/03 relatif aux centres de coordination fiscale belges.
[3] Le régime des centres de coordination fiscale instauré au profit des multinationales leur permettait d’obtenir des forfaits d’imposition fiscale comprenant plusieurs mesures d’aides dérogatoires au droit commun. Jugé compatible par la Commission dans un premier temps, le régime avait ensuite été réexaminé sur le fondement d’une communication sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises du 11 novembre 1998 (au JO C 384, p. 3) et jugé incompatible. L’incompatibilité du régime avait été démontrée par l’existence d’un avantage, puis par le caractère sélectif dudit avantage.
[4] Voir la page : http://www2.impots.gouv.fr/documentation/prix_transfert/entrep1.htm du site du ministère de l’économie et des finances.
[5] Décision « Starbucks » n° 2017/502 du 21/10/2015 au JOUE n° L 83/2017 et décision « FIAT Finance and Trade » n° 2016/2326 du même jour relative un APP Luxembourgeois.
[6] Décision « bénéfices excédentaires » n° 2016/1699 du 11 janvier 2016 au JOUE n° L 260/2016.
[7] Nous ne nous pencherons que sur l’affaire Starbucks. Le raisonnement tenu par la Commission est rigoureusement identique dans l’affaire FIAT.
[8] Point 90 de la décision.
[9] Idem point 253.
[10] Idem point 236.
[11] Au point 255 de sa décision, la Commission précise d’ailleurs qu’un « APP a, en principe, pour but de déterminer préalablement l’application du système fiscal ordinaire pour une affaire spécifique ».
[12] Idem point 267.
[13] Idem point 269 à 414 et point 515.
[14] Points 125 à 127 de la décision.
[15] Idem points 138 à 140.