- Par François GAGNAIRE, Consultant Aides d’Etat Conseil
I Faits et jurisprudence pour plus de précisions, nous renvoyons à l’arrêt IFPEN du 26 mai.
En 2006, l’Institut Français du Pétrole est transformé en une personne morale de droit public, à savoir un EPIC. Or, les EPIC, bénéficient de par leur statut d’une garantie illimitée de l’Etat qui résulte de leur non soumission au du droit commun des procédures d’insolvabilité (sauvegarde, redressement, liquidation) en vertu du principe général d’insaisissabilité des biens publics.
Dans un arrêt « France c/ Commission du 3 avril 2014 (aff C 559/12P), La Cour avait déjà eu à connaître du statut des EPIC. Cette affaire concernait la Poste elle-même soumise au statut d’EPIC jusqu’au 1er mars 2010 avant de devenir une SA.
La Cour avait alors considéré que la garantie de solvabilité de la Poste conférée par son statut d’EPIC lui avait conféré un avantage certain et logique dans ses relations avec les banques. Il suffisait à la Commission, selon la Cour, d’établir l’existence de cette garantie (son impact sur les prêts bancaires accordés à la Poste étant évident), sans avoir à en démontrer les effets réels.
Dans son arrêt (commenté) sur l’affaire IFP Énergie nouvelles c/ Commission (aff jtes T-479/11 et T-157/12) du 26 mai 2016, le Tribunal se veut moins catégorique : « (..) une garantie est un engagement accessoire qui ne saurait être examiné en faisant abstraction de l’obligation sur laquelle il se greffe. De par cette nature, l’engagement de l’État prenant la forme d’une garantie ne peut être considéré comme une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE en soi, mais seulement en association avec l’obligation qui le soutient (..) ». (Pt 84 de l’arrêt).
Fort de ce constat, le Tribunal écartait la thèse de l’aide « per se » qui aurait découlé de la garantie illimitée gratuite de l’Etat. Il existerait simplement une présomption simple qui devrait être couplée avec l’examen de l’obligation sur laquelle porte la garantie (pour la Poste, les prêts bancaires). Or, dans le contexte de L’IFP, aucun avantage (bancaire ou autre) dans ses relations avec ses clients et ses fournisseurs n’a pu être établi par la Commission.
Le Tribunal en avait conclu que la présomption posée dans l’arrêt La Poste du 3 avril 2014
« (..) repose sur la double prémisse, dont la plausibilité est admise par la Cour, selon laquelle, d’une part, l’existence d’une garantie des autorités publiques d’un État membre a une influence favorable sur l’appréciation par les créanciers du risque de défaut du bénéficiaire de cette garantie et, d’autre part, cette influence favorable se traduit par la diminution du coût du crédit » (point 137 de l’arrêt)
Nous en avions conclu que si la JP La poste pose bien une présomption simple de transmission d’un avantage aux EPIC dans le contexte par exemple de relations bancaires portant sur des prêts, cette présomption tombe dans le cadre des autres avantages que pourrait conférer la garantie à l’EPIC dans ses relations avec ses clients et ses fournisseurs. La charge de la preuve de cette « plausibilité » incombe alors à la Commission qui ne l’avait pas apportée en l’espèce.
II Position de la Cour dans son pourvoi :
La Cour rappelle dans un premier temps les éléments nécessaires à la qualification d’une mesure en aide d’Etat et notamment le fait que la mesure en cause doit favoriser directement ou indirectement une entreprise ou lui procurer un avantage qu’elle n’aurait pu obtenir dans des conditions normales de marché (cette seconde hypothèse est celle de l’opérateur privé en économie de marché dans les hypothèses autres que les subventions).
Il incombe en principe à la Commission d’apporter cette preuve concrète avec cette réserve concernant les EPIC issue de l’arrêt La Poste du 3 avril 2014 que la Commission peut poser une présomption simple de transfert d’un avantage dans le cadre d’une garantie implicite et illimitée de l’Etat en faveur d’une entreprise. A charge pour la Commission de prouver l’existence de cette garantie sans pour autant avoir à en démontrer les effets.
Après avoir repris le raisonnement du Tribunal (exposé ci-avant dans nos conclusions), la Cour considère au point 115 de son pourvoi que ce raisonnement est entaché d’erreurs de droit.
La Cour considère que « (..) s’il est vrai qu’une telle présomption n’est qu’une présomption simple, et donc réfragable, elle ne saurait être pour autant renversée que dans la mesure où il est démontré que, compte tenu du contexte économique et juridique dans lequel s’insère la garantie rattachée au statut de l’EPIC concerné, ce dernier n’a pas obtenu dans le passé et, selon toute plausibilité, n’obtiendra pas dans l’avenir un quelconque avantage économique réel de cette garantie ». (Point 117 du pourvoi)
(.., la seule circonstance que le bénéficiaire d’une telle garantie n’a tiré dans le passé aucun avantage économique réel de son statut d’EPIC ne suffit pas, à elle seule, à renverser la présomption d’existence d’un avantage. (Idem pt 118)
Par conséquent, c’est à tort que le Tribunal a jugé, aux points 134 à 137 de l’arrêt attaqué, que la possibilité de se prévaloir de la présomption établie par la Cour dans l’arrêt du 3 avril 2014, France/Commission (C‑559/12 P, EU:C:2014:217), reposait sur l’existence d’effets réels dans le chef du bénéficiaire de la garantie, et, par suite, aux points 188 à 190 de cet arrêt, que, en ce qui concerne les relations de l’IFPEN avec les institutions bancaires et financières, ladite présomption avait été renversée ». (Idem pt 119)
Le troisième moyen du pourvoi ne fait qu’étoffer cette analyse. La Cour confirme la position de la Commission qui considère qu’il n’y a pas lieu de dissocier et limiter l’avantage conféré par une garantie illimitée à une entreprise à ses relations avec les institutions bancaires et financières. Cette garantie peut aussi impacter les relations d’un EPIC avec ses créanciers commerciaux. En effet, l’assurance pour un créancier commercial d’être remboursé de sa créance par l’État en cas de défaut de l’IFPEN revêtirait, en principe, une importance non négligeable pour ce créancier : « À cet égard, il est vrai que, dans cet arrêt, la Cour a expressément reconnu l’existence d’une présomption simple d’avantage lié à la garantie rattachée au statut d’un EPIC en ce qui concerne seulement les relations que celui-ci peut entretenir avec les institutions bancaires et financières. Toutefois, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 168 de ses conclusions, il ne ressort pas dudit arrêt qu’une telle présomption ne pourrait, par principe, pas s’appliquer à d’autres relations de l’EPIC, notamment à celles qu’il entretient avec ses fournisseurs et ses clients ». (Pt 139 du pourvoi)
Enfin, il convient de relever que l’argument que le Tribunal a, au point 159 de l’arrêt attaqué, entendu tirer des observations faites par la Cour dans l’arrêt du 3 avril 2014, France/Commission (C‑559/12 P, EU:C:2014:217), en particulier au point 104 de celui-ci, manque, à tout le moins, de clarté. En effet, il ne saurait être compris en quoi ces observations confirment, ainsi que le Tribunal l’a pourtant énoncé, que le mode de preuve allégée accepté par la Cour pour établir si une garantie implicite et illimitée de l’État, inhérente au statut d’EPIC, est constitutive d’un avantage économique serait uniquement applicable au cas d’un emprunteur qui, grâce à ladite garantie, bénéficie de taux d’intérêt plus bas ou peut fournir une sûreté moins élevée (idem pt 146).
Dans ces conditions, force est de constater que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a jugé, au point 160 de l’arrêt attaqué, que la présomption d’existence d’un avantage établie par la Cour dans l’arrêt du 3 avril 2014, France/Commission (C‑559/12 P, EU:C:2014:217), est confinée aux relations qui impliquent une opération de financement, un prêt ou, plus largement, un crédit de la part du créancier d’un EPIC, notamment aux relations entre cet EPIC et les institutions bancaires et financières (idem pt 147.
La réfutation de la thèse du Tribunal selon laquelle une garantie publique illimitée ne transmet un avantage à ses bénéficiaires (présomption) que dans le cadre des relations de ces derniers avec les institutions bancaires et financières et que pour les autres relations (clients et fournisseurs), cette présomption est levée et que la preuve doit être rapportée par la Commission (conclusions du tribunal dans le premier arrêt IPSEN fondées sur l’arrêt La Poste) n’est cependant pas totale.
Au point 149 du pourvoi, la Cour précise en effet que : « Cela étant, il y a lieu de préciser que cet arrêt ne saurait non plus être interprété en ce sens que ladite présomption peut être étendue, de manière automatique, aux relations d’un EPIC avec ses fournisseurs et ses clients, sans qu’il soit nécessaire d’examiner, au préalable, si, compte tenu des comportements desdits acteurs, l’avantage que l’établissement peut en tirer est similaire à celui qu’il tire de ses relations avec les institutions bancaires et financières.
En effet, ainsi qu’il a été constaté au point 116 du présent arrêt, la présomption établie dans l’arrêt du 3 avril 2014, France/Commission (C‑559/12 P, EU:C:2014:217), est fondée sur l’hypothèse selon laquelle, grâce à la garantie attachée à son statut, l’EPIC concerné bénéficie ou pourrait bénéficier de conditions financières plus avantageuses que celles qui sont normalement consenties sur les marchés financiers. Ainsi, l’application de ladite présomption aux relations de l’EPIC avec les fournisseurs et les clients ne se justifierait que dans la mesure où de telles conditions plus avantageuses se présentent également dans les relations avec ces derniers sur les marchés intéressés (idem pt 150).
Par conséquent, lorsque la Commission vise à appliquer ladite présomption, elle doit examiner le contexte économique et juridique dans lequel s’insère le marché affecté par les relations en question. En particulier, la Commission est tenue de vérifier si les comportements des acteurs sur le marché concerné justifient une hypothèse d’avantage analogue à celle qui se trouve dans les relations de l’EPIC avec les institutions bancaires et financières » (idem pt 151).
Au final, il y a bien présomption d’aide dans la relation des EPIC avec les institutions financières et bancaires et simple soupçon (à confirmer) dans leurs relations avec leurs clients et fournisseurs. Le mode d’emploi de la démonstration à apporter n’est pas fourni par la Cour et la méthode prônée par la Cour au point 151 de son arrêt est pour le moins nébuleuse…