Par François Gagnaire, Consultant Aides d’Etat Conseil
Dans cet arrêt préjudiciel du 6 juillet 2017 (AFF C-245/16 « Nerea SpA c/ Regione Marche), la Cour de justice de l’Union européenne est confrontée à la situation suivante.
L’entreprise italienne Nerea obtient une aide du FEDER dans le cadre d’un programme opérationnel régional le 20 mars 2012. Nerea demande et obtient un acompte de 50% du montant de l’aide obtenue. Le 18 novembre 2013, après avoir effectué son rapport sur les dépenses effectuées, Nerea demande le solde de l’aide. Le 24 décembre 2013, Nerea saisit le tribunal de Macerata d’une demande de concordat préventif en vue de la poursuite de son exploitation. Le tribunal ouvre la procédure de concordat préventif le 23 octobre 2014.
Par lettre du 11 février 2015, l’organisme intermédiaire qui a versé l’aide à Nerea avertit cette dernière de l’ouverture à son encontre d’une procédure de révocation de l’aide octroyée au motif que Nerea au vue de son admission à la procédure de concordat préventif ne remplissait plus les conditions d’éligibilité contenues dans l’appel à projets lui ayant permis d’obtenir l’aide litigieuse (notamment les conditions liées au fait que l’entreprise bénéficiaire ne devait pas être en difficulté).
Le tribunal italien va sursoir à statuer et poser deux questions préjudicielles à la CJUE. La première de ces questions vise à préciser le champ d’application de la notion d’entreprise en difficulté
À titre liminaire, l’article 1er, paragraphe 7, sous c), du règlement no 800/2008 concerne-t-il uniquement les procédures que les autorités administratives et juridictionnelles des États membres peuvent ouvrir d’office (comme la procédure de faillite en Italie) ou également celles qui peuvent être lancées à la seule initiative de l’entrepreneur intéressé (comme le concordat préventif dans le droit national), étant donné que cet article mentionne la “soumission” à une procédure collective d’insolvabilité ?
Le tribunal italien suggère par cette question qu’il existerait (à la lecture de l’article 1er, paragraphe 7, sous c) du RGEC) une différence entre d’une part les procédures intentées par l’Etat à l’encontre des entreprises en difficulté (« soumission » à une procédure collective) et la reconnaissance par l’entreprise elle-même de ses difficulté. Le tribunal se demande in fine si une procédure engagée par l’entreprise de sa propre initiative a ou non une influence sur sa qualification d’entreprise en difficulté.
La Cour va exposer l’ensemble des textes en vigueur sur lesquels repose la définition des entreprises en difficulté. Après avoir rappelé les points 9 à 11 des lignes directrices 2004 relatives aux aides au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté et les considérants 15 et 36 du RGEC 2008, la cour cite l’article 1er, paragraphe 6, point c) de ce dernier qui pose comme principe que sont exclues de son champ d’application les entreprises en difficulté et son paragraphe 7, point c) qu’est une entreprise en difficulté une entreprise qui remplit : « (..) selon le droit national qui lui est applicable, les conditions de soumission à une procédure collective d’insolvabilité ».
La Cour va ensuite exposer les principales dispositions du droit italien en la matière et conclure de façon très claire sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 7, point c) du RGEC et son champ d’application :
« Cette disposition renvoie ainsi au droit national pour ce qui est de la détermination des conditions dans lesquelles une PME est soumise à une procédure collective d’insolvabilité (point 26 de l’arrêt).
Il importe toutefois de relever que ni cette disposition ni aucune autre disposition du règlement n° 800/2008 n’établissent de distinction entre les différentes procédures collectives d’insolvabilité existantes dans les différents ordres juridiques nationaux, selon que ces dernières sont ouvertes pas les autorités administratives et juridictionnelles des États membres ou qu’elles le sont à l’initiative de l’entreprise (point 27).
Ainsi, s’il est vrai que l’article 1er, paragraphe 7, sous c), du règlement n° 800/2008 se réfère aux « conditions de soumission » à une procédure collective d’insolvabilité, cette disposition ne saurait pour autant être interprétée en ce sens qu’elle ne viserait que les procédures ouvertes d’office à l’encontre des entreprises, à l’exclusion des procédures ouvertes à l’initiative de ces dernières (point 28)
Par conséquent, l’article 1er, paragraphe 7, sous c), du règlement n° 800/2008 doit être interprété en ce sens que la notion de « procédure collective d’insolvabilité » qu’il vise couvre toutes les procédures collectives d’insolvabilité des entreprises prévues par le droit national, que ces dernières soient ouvertes d’office par les autorités administratives ou juridictionnelles nationales ou qu’elles le soient à l’initiative de l’entreprise concernée (point 29) ».
La seconde question posée à la Cour porte sur la détermination de la date de constat de la situation de difficulté de l’entreprise. On peut ainsi se demander si au moment de la demande de versement de la seconde tranche de l’aide Nerea n’était pas déjà en difficulté comme elle le reconnaîtra par sa demande de concordat préventif un mois plus tard.
Dans un souci de simplification et afin d’éviter que les juridictions nationales ne se lancent dans des enquêtes souvent complexes et contestables par les entreprises afin de déterminer le moment exact où l’entreprise est réellement en difficulté, la Cour va procéder comme suit :
Elle va d’abord rappeler que « les aides relevant de l’article 107, paragraphe 1, TFUE doivent être considérées comme étant accordées au moment où le droit légal de les recevoir est conféré au bénéficiaire en vertu de la réglementation nationale applicable » (point 32) et que c’est à ce même moment que doit être appréciée l’éligibilité d’une entreprise à recevoir une aide. A cette fin : « l’article 1er, paragraphe 7, sous c), dudit règlement impose auxdites autorités l’obligation non pas de procéder à un examen autonome de la situation concrète de l’entreprise, mais simplement de veiller à ne pas octroyer, en application de ce même règlement, une aide à une entreprise qui remplit les conditions de soumission à une procédure collective d’insolvabilité » (point 36).
Et la cour de conclure :
« Il s’ensuit également qu’une aide octroyée à une entreprise dans le respect du règlement n° 800/2008, et notamment de la condition négative posée à l’article 1er, paragraphe 6, de ce règlement, ne saurait être révoquée au seul motif que cette entreprise a été soumise à une procédure collective d’insolvabilité postérieurement à la date à laquelle elle lui a été octroyée » (point 38).
Les réponses apportées à ces deux questions préjudicielles demeurent pertinentes dans le cadre du RGEC 2014-2020.