Par François GAGNAIRE, Consultant Aides d’Etat Conseil
Par cette ordonnance du 11 mai 2017 (AFF C-53/170 « Bericap Záródástechnikai Cikkeket Gyártó Bt c/Nemzetgazdasági Minisztérium », la CJUE apporte des précisions sur la notion d’entreprises liées (via des personnes physiques) au sens de l’article 3, paragraphe 3, de l’annexe I du RGEC n° 800/2008 (au JOCE n° L214/2008).
Cette ordonnance qui répond à une question préjudicielle porte sur un litige opposant l’entreprise Bericap au ministère de l’économie hongrois au sujet de l’appartenance de la société requérante à la catégorie des PME pouvant bénéficier d’une aide d’Etat.
Bericap fait partie d’un groupe d’entreprises dont la société mère est détenue par les membres d’une même famille. Bericap a obtenu une aide aux PME mais la Commission considère qu’elle n’appartient pas à cette catégorie d’entreprises. Le remboursement de la subvention est donc exigé.
Bericap estime pour sa part que son appartenance à un groupe d’entreprises ne suffit pas à la qualifier de grande entreprise car, selon elle, seule importerait l’existence d’une relation réelle d’« entreprise partenaire » ou d’« entreprise liée » entre les entreprises faisant partie de ce groupe pour conclure à son appartenance ou non à cette catégorie des grandes entreprises.
Les entreprises liées sont définies comme suit à l’article 3, §3, de l’annexe 1 du RGEC 2008) :
a) une entreprise a la majorité des droits de vote des actionnaires ou associés d’une autre entreprise ;
b) une entreprise a le droit de nommer ou de révoquer la majorité des membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance d’une entreprise ;
c) une entreprise a le droit d’exercer une influence dominante sur une autre entreprise en vertu d’un contrat conclu avec celle-ci ou en vertu d’une clause des statuts de celle-ci ;
d) une entreprise actionnaire ou associée d’une autre entreprise contrôle seule, en vertu d’un accord conclu avec d’autres actionnaires ou associés de cette entreprise, la majorité des droits de vote des actionnaires ou associés de celle-ci (..)
Les entreprises qui entretiennent l’une ou l’autre de ces relations à travers une personne physique ou un groupe de personnes physiques agissant de concert, sont également considérées comme entreprises liées pour autant que ces entreprises exercent leurs activités ou une partie de leurs activités dans le même marché en cause ou dans des marchés contigus.
Est considéré comme “marché contigu” le marché d’un produit ou service se situant directement en amont ou en aval du marché en cause. »
Selon le ministère de l’économie s’appuyant sur la jurisprudence HaTeFo du 27 février 2014 (AFF C‑110/13), l’alinéa ci-avant surligné devrait être interprété en ce sens que : « des entreprises peuvent être considérées comme étant liées, au sens de cette disposition, lorsqu’il résulte de l’analyse des rapports tant juridiques qu’économiques existants entre elles qu’elles constituent, par l’intermédiaire d’une personne physique ou d’un groupe de personnes physiques agissant de concert, une entité économique unique, alors même qu’elles n’entretiennent pas formellement l’une ou l’autre des relations visées à l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, de cette annexe. (Point 11 de l’ordonnance).
En d’autres termes, des entreprises peuvent être liées et constituer une entreprise unique sans pour autant que lesdites entreprises entretiennent l’une des relations citées aux points a) à d) mais pour autant qu’une personne physique ou un groupe de personne physique agissant de concert aboutisse à faire de ces entreprises une entité économique unique. Notons que les hypothèses a) à d) visent exclusivement des entreprises et pas des personnes physiques…
Face à cette divergence d’interprétation, le Ministère de l’économie hongrois va donc poser la question préjudicielle suivante à la Cour :
« 1) L’alinéa libellé “Les entreprises qui entretiennent (..) des marchés contigus”, figurant à l’article 3, paragraphe 3, de l’annexe I du règlement général d’exemption, doit-il être interprété en ce sens que des entreprises exerçant leurs activités dans le même marché en tant que membres d’un groupe d’entreprises global détenu par un même groupe de propriétaires sont considérées, en soi et indépendamment d’autres circonstances, comme des “entreprises liées” entre elles, sans qu’il faille examiner si elles se trouvent réellement dans l’une des relations visées à l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, sous a) à d), [du règlement général d’exemption] et si elles exercent leurs activités de concert dans le même marché ?
La question est claire l’alinéa en cause (surligné) permettant de qualifier des entreprises de liées (via des personnes physiques) nécessite-t-il de surcroît (condition cumulative) que les entreprises en cause répondent aussi à l’une des hypothèses émises aux points a) à d) de l’art 3, §3 ou, la condition est-elle constitutive d’une cinquième hypothèse autonome dédiée aux hypothèses d’intervention de personnes physiques ?
Tout comme le ministère hongrois avant elle, la Cour considère que la réponse à cette question a déjà été donnée dans l’arrêt HaTeFo et va y répondre de la façon suivante : « (..) des entreprises qui n’entretiennent pas formellement l’une ou l’autre des relations visées à l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, sous a) à d), de l’annexe de la recommandation PME, mais qui constituent néanmoins, du fait du rôle joué par une personne physique ou un groupe de personnes physiques « agissant de concert », une entité économique unique doivent être considérées comme étant des « entreprises liées » au sens de cette disposition, dès lors qu’elles exercent leurs activités ou une partie de leurs activités sur le même marché en cause ou sur des marchés contigus. (..) sont considérées comme « agissant de concert » au sens de cette recommandation les personnes physiques qui se coordonnent afin d’exercer une influence sur les décisions commerciales des entreprises concernées, ce qui exclut que ces entreprises puissent être considérées comme économiquement indépendantes l’une de l’autre. La réalisation de cette condition dépend des circonstances de l’affaire et n’est pas nécessairement subordonnée à l’existence de relations contractuelles entre ces personnes ni même au constat de leur intention de contourner la définition de PME au sens de cette recommandation.. (point 17 de l’ordonnance).
Lorsque des personnes physiques (comme cela est souvent le cas dans les groupes familiaux) agissent de concert avec comme résultat de faire d’un ensemble d’entreprises une entreprise unique, les entreprises membres du groupe doivent être considérées comme liées entre elles, avec comme conséquence que leur taille et leur chiffre d’affaires respectifs sera défini en additionnant l’effectif et le CA de toutes les entreprises constituant l’entreprise unique.
Voici le lien vers l’ordonnance