Par François GAGNAIRE, Consultant Aides d’Etat Conseil
I Les faits.
-Le 28/08/2008, l’entreprise estonienne « Pagar » signe un contrat d’acquisition pour le rachat de l’entreprise Kauko.
-Le 3/09/2008, Pagar effectue un premier versement de 5% qui rend le contrat effectif.
-Le 29/09/2008, Pagar conclut un contrat de leasing avec une banque estonienne.
-Le 13/10/2008, Pagar, la banque estonienne et Kauko signent un contrat de vente tripartite par lequel Kauko est vendu à la banque qui s’engage à la donner en leasing à Pagar.
-Le 24/10/2008 Pagar effectue une demande d’aide publique pour accompagner cet acquisition. Cette aide lui est accordée le 10 mars 2009.
-Le 22/01/2013, Pagar est informé par les autorités estoniennes du caractère illégal de l’aide accordée qui n’aurait pas rempli la condition d’incitativité de l’aide inscrite à l’article 8§2 du RGEC n° 800/2008.
-L’arrêt de la Cour de Cassation estonienne qui va mener à la question préjudicielle comporte une réserve sur cette question que la Cour va devoir trancher. Selon la Cour estonienne : « Un engagement ferme d’acheter des équipements avant d’introduire la demande d’aide n’exclut pas un effet incitatif lorsque l’acheteur peut se dédier sans difficulté excessive du contrat en cas de refus de l’aide, ce qui n’apparaît pas exclu en l’espèce ».
II Cadre juridique :
L’article 8§2 (dispositions communes « effet incitatif ») du règlement général d’exemption par catégorie n° 800/2008 (désormais article 6§2 du RGEC 2014) dispose que : « Les aides accordées aux PME, couvertes par le présent règlement, sont réputées avoir un effet incitatif si, avant le début de la réalisation du projet ou de l’activité en question, le bénéficiaire a présenté une demande d’aide à l’État membre concerné ».
Pour rappel les dispositions communes du RGEC 2008 (comme celles du RGEC 2014) permettent à chaque aide qui les respecte de pouvoir éventuellement (moyennant respect des conditions spécifiques de la seconde partie du RGEC) être exemptée de notification et d’être considérée comme a priori compatibles.
L’incitativité des aides fait partie de conditions communes. Elle se vérifie par une demande d’aide avant le début (préalable) de la réalisation du projet ou de l’activité dans le RGEC 2008, avant le début des travaux liés au projet ou à l’activité dans le RGEC 2014 (la réalisation est remplacée les travaux).
Par « début des travaux », il faut entendre soit le début des travaux de construction, soit le premier engagement ferme de commander des équipements. Seules les études de faisabilité préliminaires peuvent être considérées comme n’étant pas un début de réalisation du projet ou de l’activité ultérieure sur lequel une aide incitative (sous réserve d’être préalable) pourra être demandée. Les études de faisabilité dont dépend la réalisation ou non du projet sont donc dissociées de ce dernier et restent neutres dans le cadre du respect du principe d’incitativité.
III La question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi :
Face à cette espèce, la juridiction de renvoi se pose des questions sur l’interprétation de l’article 8§2 et émet des doutes sous la forme suivant :
« Un engagement ferme d’acheter des équipements avant d’introduire la demande d’aide n’exclut pas un effet incitatif lorsque l’acheteur peut se délier sans difficultés excessives du contrat en cas de refus de l’aide, ce qui n’apparaîtrait pas exclu en l’espèce » (point 30 de l’arrêt).
Sa question préjudicielle est donc la suivante : « L’article 8, paragraphe 2, du [règlement no 800/2008] doit-il être interprété en ce sens que, dans le cadre de cette disposition, la “réalisation du projet ou de l’activité” a débuté lorsque l’activité à subventionner consiste par exemple à acquérir des équipements et que le contrat de vente portant sur ces équipements a été conclu ? Les autorités de l’État membre sont-elles compétentes pour apprécier la méconnaissance du critère prévu dans cette disposition au regard des frais de dédit du contrat dont la conclusion est constitutive d’une violation de l’exigence d’un effet incitatif ? À supposer que les autorités de l’État membre aient une telle compétence, jusqu’à quel montant (en pourcentage) peut-on considérer que les frais de dédit du contrat représentent un coût d’importance suffisamment marginale pour que l’exigence de l’effet incitatif soit satisfaite ? » (idem point 44).
Cette question préjudicielle soulève plusieurs points de droit auxquels la Cour va répondre.
1/ Le point de départ de la réalisation du projet
2/ La possibilité d’exonérer le projet d’un commencement d’exécution si l’entreprise peut renoncer aux premiers contrats signés sans coût excessif et donc implicitement sans engagement irrévocable de sa part.
3/ La compétence des juridictions nationales sur l’interprétation de cette incitativité.
IV Réponses de la Cour.
La question in fine posée à la Cour est la suivante : la conclusion d’un contrat avant demande d’aide (en l’espèce, plusieurs contrats) obère-t-elle définitivement de l’effet incitatif de l’aide en dépit du fait qu’il serait facile et peu couteux pour l’entreprise de renoncer auxdits contrats en l’absence d’aide ?
La réponse de la Cour va se fonder sur l’absence de marge d’interprétation de la juridiction nationale pour rejeter cette thèse.
La vérification de l’effet incitatif d’une aide relève en dernier lieu de la compétence exclusive de la Commission car elle est consubstantielle à l’examen de compatibilité de l’aide. A ce titre, la Cour précise que (pt 60 de l’arrêt) : « en tant que tempérament à la règle générale que constitue l’obligation de notification, les dispositions du règlement no 800/2008 et les conditions prévues par celui-ci doivent être entendues de manière stricte (.. ) ».
En d’autres termes, les juridictions nationales ne dispose pas d’une marge d’interprétation qui pourrait leur permettre de contourner la compétence de la Commission : « Or, l’antériorité de la demande d’aide par rapport au début de l’exécution du projet d’investissement constitue un critère simple, pertinent et adéquat permettant à la Commission de présumer l’effet incitatif de l’aide projetée ».
Cette simplicité à définir le caractère incitatif ou non de l’aide permet à la Cour d’affirmer (pt 67) qu’ « aucun élément du règlement no 800/2008 ne tend à indiquer que la Commission aurait, par l’adoption de ce règlement, eu l’intention de transférer aux autorités nationales la tâche de vérifier l’existence ou non d’un effet incitatif réel. Au contraire, en indiquant que l’intégralité de la mesure d’aide n’est pas exemptée si les conditions énoncées à l’article 8, paragraphes 2 et 3, dudit règlement ne sont pas remplies, le paragraphe 6 de cet article tend à confirmer que, s’agissant de la condition visée au paragraphe 2 dudit article, le rôle desdites autorités se limite à vérifier si la demande d’aide a été présentée avant le début de la réalisation du projet ou de l’activité en question et, pour cette raison, si l’aide doit ou non être réputée avoir un effet incitatif .
68 D’autre part, force est de constater que l’existence ou non d’un tel effet ne saurait être considérée comme étant un critère clair et simple à appliquer par les autorités nationales, dès lors que, notamment, sa vérification requerrait d’effectuer, au cas par cas, des appréciations économiques complexes (..).
69 Dans ces conditions, il convient de considérer que le règlement no 800/2008 confère aux autorités nationales non pas la mission de vérifier l’existence ou non d’un effet incitatif réel de l’aide en cause, mais celle de vérifier si les demandes d’aides qui leur sont soumises remplissent ou non les conditions prévues à l’article 8 de ce règlement et permettant de considérer que des aides sont réputées avoir un caractère incitatif.
Cela étant dit, la Cour reconnaît que l’espèce qui lui est présentée aurait pu être jugée, malgré les contrats signés, comme incitative, si les contrats avait été passés sous condition de l’obtention d’une aide (pt 76). Dans cette hypothèse de conditionnalité, les contrats n’auraient pas été juridiquement contraignants et n’auraient pu être considérés comme des engagements conditionnels. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce, puisqu’aucune mention d’une conditionnalité d’aide ne peut être relevée dans lesdits contrats : « Il apparaît ainsi, ce qu’il incombe toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier, qu’Eesti Pagar avait pris, avant la présentation de sa demande d’aide le 24 octobre 2008, des engagements inconditionnels et juridiquement contraignants, de sorte qu’elle devait être considérée, quels que soient les frais de dédit desdits contrats, comme étant inéligible au régime d’aide en cause au principal » (pt 81).
« Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 800/2008 doit être interprété en ce sens que la « réalisation du projet ou de l’activité », au sens de cette disposition, a débuté lorsqu’une première commande d’équipements destinés à ce projet ou à cette activité a été effectuée au moyen de la conclusion d’un engagement inconditionnel et juridiquement contraignant avant la présentation de la demande d’aide, quels que soient les éventuels frais de dédit de cet engagement » pt 82.