- Par François GAGNAIRE, Consultant Aides d’Etat Conseil
I Les faits et la question préjudicielle
-La société Oltenia est détenue à hauteur de 77,17 % par l’État roumain et à hauteur de 21,53 % par la société Fondul.
-Oltenia est créancière de la société Electrocentrale, dont l’État roumain est l’actionnaire unique.
-Le 27 septembre 2013, l’assemblée générale d’Oltenia approuve le transfert de propriété, au profit de celle-ci, de la centrale thermoélectrique de Chișcani, appartenant à Electrocentrale, à titre de dation en paiement. Oltenia a réglé à Electrocentrale la différence entre le prix de l’acquisition et le montant de la dette d’Electrocentrale envers Oltenia.
-Le 24 décembre 2013, Fondul (actionnaire minoritaire d’Oltenia) intente une action en justice contre cette opération. Il fait notamment valoir que la centrale thermoélectrique de Chişcani n’étant pas rentable, la dation en paiement en cause au principal n’aurait procuré aucun avantage à Oltenia et ne bénéficierait qu’à Electrocentrale (entreprise 100% publique) qui, libérée de la charge que constitue cette centrale, pouvait se maintenir sur le marché de la fourniture de l’énergie électrique. En d’autres termes, Fondul considère que l’opération de remboursement de créance par dation est ici assimilable à une aide d’Olténia (société majoritairement publique) à Electrocentrale (Société 100% publique).
Le juge national saisit, par voie de question préjudicielle, le juge communautaire. Sa question est la suivante :
« 1) La décision de l’assemblée générale des actionnaires de CE Oltenia, adoptée par vote de l’État roumain, par l’intermédiaire du département pour l’énergie du ministère de l’Économie, en qualité d’actionnaire détenant 77,17 % du capital social de cette société, par laquelle il a été accepté, d’une part, d’éteindre la dette de 28 709 457,13 RON qu’Electrocentrale avait envers CE Oltenia par dation en paiement [consistant dans le transfert de propriété] (..) de verser à Electrocentrale la différence entre la valeur vénale de l’actif et la valeur de la créance de CE Oltenia, constitue-t-elle une aide d’État au sens de l’article 107 TFUE et, plus précisément, une mesure i) financée par l’État ou au moyen de ressources d’État, ii) ayant un caractère sélectif et iii) susceptible d’affecter les échanges entre les États membres ?
II Réponse de la Cour :
La réponse de la Cour, au regard des critères de définition de l’aide d’Etat doit essentiellement porter sur la question de l’origine des fonds en cause (financement de la mesure par l’Etat ou au moyen de ressources d’Etat) et sur la question de l’avantage procuré ou non par cette mesure.
Pour ce qui est de l’origine étatique de l’opération de dation, la Cour se contente de rappeler sa jurisprudence :
« En ce qui concerne, plus particulièrement, les entreprises publiques, telles que CE Oltenia, la Cour a également jugé que l’État est en mesure, par l’exercice de son influence dominante sur de telles entreprises, d’orienter l’utilisation de leurs ressources pour financer, le cas échéant, des avantages spécifiques en faveur d’autres entreprises (arrêt du 16 mai 2002, France/Commission, C‑482/99, EU:C:2002:294, point 38) » (pt 17 de l’arrêt).
L’exercice de son influence dominante par l’Etat relève de la méthode dite du faisceau d’indice :
« Concernant, en second lieu, la condition tenant à l’imputabilité à l’État d’une mesure d’aide prise par une entreprise publique, il résulte d’une jurisprudence établie que celle-ci peut être déduite d’un ensemble d’indices résultant des circonstances de l’espèce et du contexte dans lequel cette mesure est intervenue (arrêt du 16 mai 2002, France/Commission, C‑482/99, EU:C:2002:294, point 55) » (idem pt 18).
« La seule circonstance qu’une entreprise publique a été constituée sous la forme d’une société de capitaux de droit commun ne saurait, eu égard à l’autonomie que cette forme juridique est susceptible de lui conférer, être considérée comme suffisante pour exclure qu’une mesure d’aide prise par une telle société soit imputable à l’État. En effet, l’existence d’une situation de contrôle et les possibilités réelles d’exercice d’une influence dominante qu’elle comporte en pratique empêchent d’exclure d’emblée toute imputabilité à l’État d’une mesure prise par une telle société et, par voie de conséquence, le risque d’un contournement des règles du traité relatives aux aides d’État, nonobstant la pertinence en tant que telle de la forme juridique de l’entreprise publique comme indice, parmi d’autres, permettant d’établir dans un cas concret l’implication ou non de l’État (arrêt du 16 mai 2002, France/Commission, C‑482/99, EU:C:2002:294, point 57) » (Idem pt 20).
Sans obérer de la réponse de la juridiction nationale, on peut simplement constater que l’actionnaire minoritaire d’Oltenia (Fondul) conteste cette opération qui visiblement va à l’encontre de ses intérêts d’actionnaire privé d’Oltenia. Cette contestation prouve à l’évidence que l’actionnaire majoritaire public d’Oltenia a imposé la décision à son actionnaire minoritaire et que la mesure a bien par le fait une origine étatique. Cette origine étatique ne se suffit pas à elle-même. Pour que la mesure soit qualifiable d’aide d’Etat, encore faut-il qu’elle transmette un avantage à son bénéficiaire, à savoir Electrocentrale.
Pour ce qui est de la transmission d’un avantage procuré au bénéficiaire de la mesure, la Cour là encore et comme elle se doit de le faire dans le cadre d’une question préjudicielle rappelle sa jurisprudence.
La transmission d’un avantage dans ce contexte s’analyse au regard du critère de l’opérateur privé versus créancier privé : « (..) selon une jurisprudence constante, les conditions que doit remplir une mesure pour relever de la notion d’« aide », au sens de l’article 107 TFUE, ne sont pas satisfaites si l’entreprise bénéficiaire pouvait obtenir le même avantage que celui qui a été mis à sa disposition au moyen de ressources d’État dans des circonstances qui correspondent aux conditions normales du marché. Cette appréciation s’effectue, lorsqu’un créancier public octroie des facilités de paiement pour une dette qui lui est due par une entreprise, par application, en principe, du critère du créancier privé (idem point 25).
De telles facilités de paiement constituent une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE si, compte tenu de l’importance de l’avantage économique ainsi octroyé, l’entreprise bénéficiaire n’aurait manifestement pas obtenu des facilités comparables d’un créancier privé se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle du créancier public et cherchant à obtenir le paiement des sommes qui lui sont dues par un débiteur connaissant des difficultés financières » (idem point 26).
La vérification de la conformité de cette dation au critère du créancier privé relève de la juridiction nationale qui devra vérifier si par exemple, un autre créancier aurait accepté cette cession d’actif (plus la somme censée représenter le différentiel) en contrepartie de sa créance. Si la réponse est positive, la dation à ces conditions ne transmet pas d’avantage à son bénéficiaire. Dans le cas contraire, elle devra être qualifiée d’aide d’Etat.