Par François GAGNAIRE, Consultant Aides d’Etat Conseil
Dans cet arrêt du 26 février 2015 (AFF T-385/12), le Tribunal doit se prononcer sur la question de la compensation de la prise en charge des retraites de France Telecom (entreprise publique) devenue Orange suite à sa privatisation.
En 1996 (loi du 26 juillet), France Telecom est transformée en SA, privatisée et introduite en bourse. Jusqu’à cette date, le personnel de France Telecom était constitué de fonctionnaires pour lesquels l’entreprise publique versait au Trésor public les montants nécessaires au paiement des pensions de retraites. En outre, France Telecom participait également aux régimes dits de compensation et de surcompensation permettant d’assurer l’équilibre avec les régimes de retraites d’autres des fonctionnaires d’autres entreprises publiques.
La loi du 26 juillet 1996 vient modifier cette contribution et fait l’objet d’une plainte auprès de la Commission. Cette plainte est relative à une aide de la France à l’entreprise Orange sous forme de réduction des charges financières liées au financement des retraites de ses employés.
La décision de la Commission va bien conclure à l’existence d’une aide d’Etat mais considérer que cette dernière doit être considérée comme compatible avec le marché commun notamment parce qu’Orange était tenu de verser une « contribution forfaitaire exceptionnelle » et que cette contribution réduisait d’autant les supposés avantages pour Orange de la loi de 96.
Orange fait appel et demande au Tribunal l’annulation de cette décision. Nous ne retiendrons que la première branche du premier moyen du recours par laquelle Orange considère que la loi de 96 ne lui confère pas d’aide.
« La requérante avance que ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE un avantage conféré à une entreprise allégeant les charges pesant normalement sur son budget, lorsque cet avantage vise à remédier au fait que l’entreprise bénéficiaire est exposée à des charges supplémentaires résultant d’un régime dérogatoire, auxquelles échappent les entreprises concurrentes soumises au droit commun dans des conditions normales de marché.
En substance, le régime imposé à la requérante par la loi de 1990 constituerait une charge supplémentaire résultant d’un régime dérogatoire par rapport à une situation type à laquelle les opérateurs économiques sont normalement susceptibles d’être exposés sur un marché caractérisé par des conditions de concurrence effective, qui serait celle qui résulte du droit commun concernant le régime des pensions, et non celle, envisagée par la Commission, d’une entreprise qui emploie du personnel ayant le statut de fonctionnaire. Par conséquent, la loi de 1996 n’aurait que supprimé cette charge anormale et excessive, libérant France Télécom du désavantage structurel qu’elle supportait en application de la loi de 1990, et ne constituerait pas un avantage économique en sa faveur » (points 29 et 30 de l’arrêt).
Orange considère donc que si avantage il y a dans le transfert des pensions de retraites des fonctionnaires, ce dernier ne fait que compenser (réduire) le désavantage structurel initial supporté par l’entreprise qui « dispose » lors de sa privatisation de fonctionnaires dans son salariat et qui doit assumer les charges (supérieures) qui en découlent et que ne supportent pas ses concurrents du secteur. En d’autres termes, le potentiel avantage ne viendrait qu’égaliser les conditions de concurrence entre les différents acteurs du marché des télécommunications.
Le raisonnement est séduisant mais ni le Tribunal ni la jurisprudence sur laquelle ce dernier s’appuie ne l’entendent ainsi. La finalité d’une mesure n’a en effet pas à être prise en compte dans le contexte du critère de transmission ou non d’un avantage afin de pouvoir caractériser l’existence d’une aide d’Etat.
Le Tribunal résume ainsi parfaitement le principe : « la notion d’avantage, inhérente à la qualification d’une mesure d’aide d’État, revêt un caractère objectif, indépendamment des motivations des auteurs de la mesure dont il s’agit. Ainsi, la nature des objectifs poursuivis par des mesures étatiques et leur justification sont dépourvues de toute incidence sur leur qualification d’aides d’État. Il ressort d’une jurisprudence constante que l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne fait pas de différence selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets (.. ) » (point 36 de l’arrêt).
Le Tribunal se fait plus précis au point 42 de son arrêt :
« En second lieu, s’agissant de l’argument de la requérante tiré de la libération d’un désavantage structurel, même à supposer qu’un tel désavantage soit établi, il y a lieu de constater que le prétendu caractère compensatoire des avantages accordés ne permet pas d’écarter leur qualification d’aides au sens de l’article 107 TFUE ».
Il évoque également l’exception qui n’a pas lieu de s’appliquer en l’espèce, à savoir la compensation d’une obligation de service public et la jurisprudence Altmark et ses suites règlementaires :
« Comme il ressort de la jurisprudence, ce n’est que dans la mesure où une intervention étatique doit être considérée comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises chargées d’un service d’intérêt économique général pour exécuter des obligations de service public, selon les critères établis par l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, Rec, EU:C:2003:415), que ladite intervention ne relève pas de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (…) Or, tel n’est pas le cas en l’espèce » (point 43).
Notons qu’au final le Tribunal, tout en considérant que la loi de 96 est bien constitutive d’une aide d’Etat, jugera cette dernière compatible.